En partance, roman de gare lesbien, partie 2
Pendant
ce temps un train avait commencé à s'ébranler longuement, et le vacarme
habituel interrompit le soldat, tout en camouflant la confusion de la
femme qui n'avait rien à dire et qui ne savait guère si elle était
complètement réveillée.
D'autres
yeux que les miens scrutaient maintenant l'ovale de ce visage anxieux,
qui paraissait aussi se demander ce qu'on pouvait bien voir à travers
lui.
Elle
parvint à articuler quelques mots, d'une voix rauque, tout en reculant
plus violemment qu'il n'aurait été nécessaire pour se détacher de
l'emprise :
<<
Je vous prie de m'excuser, mais je suis sortie du train qui est là, et
je ne pense pas avoir mes papiers sur moi...>>
<<
Remontez alors ! votre train va partir ... >> dit l'homme aux
yeux si inquisiteurs quelques secondes plus tôt, qui se détourna aussi
vite, indifférent, et laissa retourner seule d'où elle était venue la
voyageuse au sourire crispé, qu'une tristesse immense paraissait
envahir d'un coup pour la grignoter.
Ce
n'était donc pas cette fois qu'elle s'échapperait à la frontière,
pensa-t-elle, en trouvant cette idée ridicule mais quand même amusante,
sans savoir pourquoi, au fond ...
Surtout
il lui fallait remettre méticuleusement ses idées en place avant de
sortir, parce qu'un trou immense, un vide, lui parut voiler sa mémoire
de ce qui pouvait encore s'y trouver, et que même l'instant présent lui
semblait déconnecté de la réalité, vivant de façon autonome dans une
autre dimension.
Ni frites, ni boissons en vue, au fait, et il lui sembla que la mémoire lui revenait enfin, mais sans vouloir s'attarder ...
Elle
respira une dernière fois l'air du dehors, en posant sa main brûlante
sur l'acier de la poignée qui devait se refermer, la serrant très fort,
jusqu`à faire blanchir les jointures de ses doigts.
Même
froid ou tranchant comme un métal acéré, rien ne pouvait-il donc lui
faire plus de mal que ce qu'elle s'acharnait à cacher au fond de son
coeur et qui éloignait sa raison ?
Je viens peut-être d'ici, ou de pas trop loin, se dit-elle, sans que ça lui apporta aucune assurance supplémentaire.
Elle
se sentit comme une clandestine cherchant l'asile ou la fuite, mais
elle finit cependant par retrouver sa cabine, et les affaires qui s'y
trouvaient, heureuse que personne ne fût reparti avec ce sac laissé
seul un moment.
Ce n'était pourtant pas pour ce qu'il y avait dedans, se disait-elle, elle s'en fichait !
D'abord
parce qu'elle ne voulait absolument pas s'en souvenir, et parce que,
même si elle en était sure maintenant, ce sac lui appartenait et elle
ne voulait pas l'abandonner.
Elle ressemblait à une personne un peu saoule, alors que non, elle ne buvait pas, et ça aussi elle pouvait le jurer.
Mais
elle était tellement misérable au fond que si on lui avait pris son
sac, ç'aurait été pire que tout pour son esprit fiévreux.
Comme cela, ça allait, elle se reposait, et existait un peu par ses affaires respectées.
J'existe et je respire, je suis tellement heureuse, oui, se dit-elle en écho à mes pensées.
Le jeune homme brun, lui, semblait l'intéresser énormément, comme un cas de vie différent et attirant pour elle.
Il dormait, alors qu'elle, curieuse et incapable de dormir, prenait plaisir à le regarder sans qu'il le sache.
Et il s'était effectivement endormi là, seul dans son couloir, statue miraculeuse bercée par un strapontin.
Cet
homme n'était pas tout seul dans la vie, certainement, cela transpirait
de lui, il devait avoir une vie plutôt belle, faite d'espoirs,
d'amitiés, de plaisirs, pas si compliqués que les miens,
s'imagina-t-elle.
Elle finit par ressentir le sommeil quand même et la faim aussi, un peu.
Un
peu, toujours un peu, comme le reste, jamais assez fort, se mît-elle à
méditer, révoltée ... jamais assez pour crier contre une souffrance
certaine qui s'échapperait agréablement par les méandres de sa cervelle
d'amnésique.
Cette non-violence contre elle-même, cette amnésie, un choix ?
Avait-elle
beaucoup, c'est cela, déjà beaucoup trop encaissé pour absorber encore
des mauvais coups du sort dont on est quelquefois bien responsable ?
Et maintenant elle ne voulait plus rien savoir, elle voulait oublier la vie d'avant, elle n'était plus personne.
Les portières se fermèrent et elle entendit son estomac trimballé et barbouillé qui protestait.
La
nuit éclaircie, le train repartit une fois de plus, vers une autre gare
anonyme, pour y débarquer des dizaines de passagers en même temps que
leurs songes intimes.
Le convoi venait de démarrer tout en douceur, en félin, et il accélérait sensiblement.
Elle devait en ressentir la caresse dans tout son être ...
Ca
y est, ça me revient, se dît-elle peut-être alors, comme je me le
disais pareillement, parce qu'il me fallait aussi une excuse pour
continuer le voyage ... je pars en Italie, tout simplement prendre des
vacances, c'est au moins une bonne nouvelle !
Qu'aimerait-elle encore inventer ?
Stop, elle a sûrement raison, il nous faut barrer la route aux idées parasites.
Le paysage perçait l'aurore.
Les montagnes et les câbles électriques défilaient, mais en elle le temps en arrière ne défilait plus.
Tant
mieux, car contempler sa blessure à vif l'aurait tirée vers le néant,
mais maintenant elle avait une échappée belle et pouvait envisager la
fuite en avant comme une bonne raison de vivre.
Ouf, finalement j'ai bien fait de ne pas descendre tout à l'heure, se dit-elle, j'ai eu chaud, très chaud.
Oui, moi aussi, me pris-je à rêver en écho aux pensées que je lui prêtais, parce je ne t'aurais plus revue...
Ma
passagère finit par enfoncer tout au creux de la banquette ses petites
fesses qui avaient éveillé mes désirs, à la fois très musclées et d'une
féminité évidente malgré un pantalon de ski.
De
taille moyenne et pas beaucoup plus grande que moi, son allure de loin
paraissait assez masculine, par un habillement neutre et sportif, ses
cheveux courts, et une attitude fière confinant à la sècheresse.
Elle
semblait réellement pleine de force et de vie, sans une seule petite
place pour de la graisse, androgyne mais néanmoins très fine avec des
formes féminines parfaites, on voyait ses seins, petits, pointer sous
son pull et elle savait occuper l'espace, imposant aux regards son cou,
ses poignets et ses chevilles longs et fins, sa nuque et ses reins
joliment cambrés, ses épaules qu'on devinait étroites et ses hanches
plus lourdes.
Sûrement
avait-elle la quarantaine, et s'approchait-elle même de la
cinquantaine, malgré des cheveux naturels merveilleusement épais,
exceptionnellement noirs et fortement bouclés, qui témoignaient de la
permanence de sa jeunesse
Son
visage, sec et mat, ne portait aucun maquillage, mais annonçait la même
femelle triomphante, par le petit menton porté en avant, provocateur et
les sourcils épais implantés en accent circonflexe avec le charme des
sourcils dessinés des actrices japonaises.
Sa
bouche sensuelle, aux lèvres fines, était disciplinée par une mâchoire
carrée et volontaire, et son nez, aussi charnu et rond que celui d'une
adolescente, avec un grain de beauté couleur chair dans le pli qui
attirait le regard, lui donnait un petit air ingénu, et quand elle
souriait, à volonté une expression espiègle, invitant l'autre à se
laisser aller en confiance.
Avec
pour finir des yeux expressifs, grands et verts, souvent humides, qui
montraient une profonde tendresse ou une grande timidité, mais qui
lorsqu'ils fuyaient leur observateur direct, cette femme se croyant
ainsi cachée des regards, pouvaient se révulser subitement et trahir la
défiance et la cruauté, révélant ainsi la nature véritable,
certainement dominatrice, sauvage et intrigante de cette âme
exceptionnelle.
Je l'ai désirée entièrement dès que je l'ai vue.
Comment
faire d'ailleurs pour ne pas tomber dans le piège et ne pas désirer
passionnément en même temps le coté sombre de la personne ?
Aurait-elle pu répondre à mes attentes ?
J'aurais tout donné pour frôler ses mains quand elle était passée à ma portée tout à l'heure.
La
finesse et le teint légèrement fané tout comme la multiplication des
tâches de rousseur sur sa peau révélait son age plus avancé que le
mien, et la toucher avec la perspective de ce contraste de sa peau
contre la mienne m'excitait.
J'aurais tout donné également pour la serrer sur mon coeur, si le sien avait été libre.
Mais elle poursuivait son étrange voyage sans m'avoir une seule fois remarquée.
Tiens, encore une frontière ...